En 2018, j’étais coordinatrice d’une revue en sciences humaines et dans le cadre de mes fonctions, j’ai usurpé le nom d’une personne qui, je m’en suis rendue compte il y a quelques semaines, existe réellement1.
Je souhaite ici présenter un Mea Culpa officiel et expliquer les raisons de cette prise d’identité.
il ne s'agissait pas de bénéficier de l'aura institutionnelle d'un autre,
ni de voler sa vie, ses droits, sa retraite, ses abonnements,
c'était histoire de sonorités.
Il est des sons qui, mis ensemble, résonent différemment et provoquent différentes réactions à l’encontre de leurs émetteurs. Il ne s’agit pas là de gargarismes ou d’onomatopées, je parle du sexe des sons et du sexisme technique qui peut être le lot d’un nom.
Monsieur M. Mellet #
J’ai pris un nom d’homme, votre nom Monsieur, parce qu’il était du bon côté du sexisme technique.
Je vous l’ai emprunté pour le temps de quelques échanges par courriels, juste le temps de régler quelques petits déboires éditoriaux avec des auteurs (masculin assumé) récalcitrants.
Le temps de finaliser la publication d'un article
Le temps de m'échapper un peu du piège de la secrétaire moderne
Le temps de calmer la rage de l'auteur qui sait faire de ses mots des glaives
Et votre nom Monsieur, si vous ne le saviez pas, a du pouvoir, pas tant par son héritage,
le nom d'un saint évangéliste ou d'un vieux pape,
l'invocation francisée du dieu Mars, guerrier et protecteur,
le nom d'un écrivain dont on se fera seul son avis,
que par son sexe.
De Margot à Mark #
Aucune disphorie corporelle ou envie de transition à la source de cette masculinisation nominale mais un besoin d’échanges équitables et le désarroi face à un sexisme technique, qui, associé au leg des petites mains, ne semblait pas pouvoir se résoudre par échange de courriels.
Margot n’était pas efficace dans l’échange
celle qui n'accepte pas la capture d'écran faite de ma bibliographie,
celle qui ne se rappelle pas de mes mots de passe,
celle qui ne sait pas où se trouvent mes fichiers sur mon ordinateur,
celle qui ne me répond pas assez vite,
Mark en revanche…
celui à qui j'envoie ma bibliographie en bibtex,
celui dont j'attends patiemment la réponse,
celui que je respecte,
celui dont j'écoute les requêtes sant les remettre en question.
Même demandes, réceptions contraires pour quelque lettres de différence.
Mark en impose, il est fait autorité avec ses 4 lettres, il sait ce qu’il fait.
Il est en réalité plus professionnel que sa femme Margot.
De la secrétaire à l’épouse #
Lors du relais épistolaire, ce n’est pas seulement un changement de ton qui s’opérait, moi passant dans le monde merveilleux des échanges sans argumentation, mais une fiction qui se tissait. Et cette fiction, étrange étrange, était toujours la même.
Nous avons été mari et femme, Mark (je peux maintenant vous appeler ainsi parce que nous vivons ensemble). Les correspondants avec lesquels vous n’avez jamais échangé et avec lesquels j’ai échangé à deux reprises ont décidé que nous n’étions pas sœur et frère, oncle et nièce ou même homonymes (ce que nous sommes bien en réalité), mais conjoints.
« j'ai échangé avec votre femme et elle n'a pas compris ma demande »
« je m'excuse pour l'impatience que j'ai pu manifester vis-à-vis de votre conjointe »
« je comprends que la précédente personne à qui j'ai eu affaire était votre épouse »
Nous avons dû avoir une belle histoire Mark chéri
celle d'un homme éditeur, bon et travailleur,
qui donne l'opportunité à sa gentille femme d'accéder à la machine,
de répondre à des courriels,
de parler à des gens importants.
J’ai presque été tentée, malgré le bonheur évident de notre mariage, d’ajouter encore un personnage à cette fiction, de faire un vaudeville avec la femme,le mari et sa maîtresse, et puis la maîtresse de l’épouse, et le frère de la première maîtresse etc. Mais je trouvais un peu injuste d’enbarquer des correspondants du cadre professionnel dans une présupposition de vies privées.
En voulant m’échapper de la secrétaire, je suis tombée dans l’épouse. D’un gouffre à l’autre, j’ai préféré continuer ma lutte sur la figure qui me semblait la plus juste et insidieuse à combattre : j’ai repris mon nom, repris en charge l’imaginaire de l’assistante et j’ai masculinisé mon rapport à l’écriture2.
Ce n’est pas qu’être votre épouse ne me plaisait pas sur le papier, c’est juste que vous méritez mieux.
De plus mêler travail et vie sentimentale, n’est jamais bon, et cela semblait de plus distraire les auteurs qui projetaient leurs imaginaires débordants sur un autre endroit que leurs livres.
Car les auteurs ne le sont pas que sur le papier.
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C’est en me balladant sur Research Gate que j’ai découvert son existence. ↩︎
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A été écrit un post sur comment les femmes doivent écrire au monde pour être lues. ↩︎