Ceci est la face d’un monstre post à deux têtes
Pour sauter directement au cou de la deuxième
Dans la lignée despotique dystopique du dysfonctionnement (lutte à l’impératif fonctionnel MVR) comme notion aujourd’hui nécessaire, le détournement, l’insolence, et l’annihilation1 m’apparaissent être des modes de création et de réflexion sur ce qu’est le faire ensemble, le faire savoir, le faire fair.
Le chercheur qui rêvait que les moutons électriques déraillent #
Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Je ne pourrai répondre
peut-être que les moutons le peuvent eux.
Et justement, Philip K. Dick, en parlant des coulisses de son roman, a dit :
Ce livre a été écrit alors que je connaissais une période de stabilité exceptionnelle. Nancy et moi avions une maison, un enfant et pas mal d’argent. Tout allait bien.
Philip K. Dick: In His Own Words, Gregg R.
Tout va bien, Tout va bien, mais on aurait peut-être besoin de sentir le dysfonctionnement pour savoir que tout va bien pour vrai, savoir que sa femme, son fils, sa maison fonctionnent, les mettre en perspective avec le pire, avec un monde où l’humanité n’est plus une certitude, où on ne connaît plus sa femme, son fils ou sa maison.
Parce que le fonctionnement n'est pas une fin en soi suffisante
Ils vécurent heureux et ils nous assoment par l'injonction au bonheur
On y croit pas vraiment non plus parce que le définitif est plus trouble que le doute
C'est beau les filtres insta mais c'est plus divertissant quand ils tombent
Alors on rêve des dytopies pour prévenir, rester en alerte, voir ailleurs que la norme
J’ai déjà dit que je crois que le non fonctionnement est la condition de la pensée critique et que je rêve d’outils qui ne fonctionnent pas. C’est ma façon de résister à l’impératif fonctionnel.
Résister à l’impératif fonctionnel, résister à la narcose narcissique (McLuhan 1964), résister à l’apathie où tout va bien, où on utilise sans se poser de questions parce que tout fonctionne
la femme
la secrétaire
le fils
et le saint esprit.
Monter des châteaux de cartes pour les voir tomber #
Au-delà de notre inclination (peut-être très droite) pour le chaos et l’esthétique glitchéenne,
faire des pâtés de sable devant la fatale marée,
créer des crises de couples pour vider les coupes,
binger des cascades ratées et des chutes réussies,
Il y a une nécessité critique à tout ce qui dys.
Je souhaite que rien ne marche, que rien ne fonctionne, que tout soit cassé, qu’il y ait plein de bugs. Je voudrais des designers capables de concevoir des outils compliqués, contre-intuitifs et mal fonctionnant.
Le non fonctionnement est la condition de la pensée critique.
À la suite de ce souhait du cœur, je pense qu’en tant que chercheurs en sciences humaines [et surtout en littérature], on devrait détester les outils,
tous les outils,
et surtout ceux qui se prétendent fonctionnels, utiles, ergonomiques parce que 1. C’est pas notre domaine ; 2. Le plus souvent, ce n’est pas grâce à nous qu’ils fonctionnent ; 3. On peut moins s’en plaindre de manière constructive.
Notre domaine à nous c’est la redondance, l’anacoluthe, le paradoxe
l'outil que personne n'utilise
la data qui n'est pas datable
l'application qui ne s'applique pas à notre cas
l'environnement qui est éloigné de notre champ[s]
Longtemps on m’a demandé et longtemps encore j’espère on me demandera :
Mais à quoi ça sert la littérature ?
C’est quoi concrètement ton travail à part lire ?
À ces interrogations aussi bêlantes brûlantes qu’abissales2, j’espère toujours pouvoir répondre, au-delà des bienséances et des conventions stratégiques,
Et c’est ça/là l’utilité, ne pas servir, la beauté parce que ce n’est pas la fonction
au-delà du principe utilitaire
de l'impératif fonctionnel
de l'épiphanique eurêka
Nous sommes des bruits dans la machine #
Si t’es pas codeur, t’es pas auteur.
Je ne suis pas complètement d’accord avec Thierry – plus par amour du désaccord que de Thierry –, je préfère être mon homophone. Mon désir professionnel pourrait se résumer à être un véritable brouhaha littéraire, méli-mélo-mêlé d’écritures en pagaille qui touchent des limites, qui irritent aux yeux les pupilles des manuels
tohu-bohu plutôt que tout va bien
cohues plutôt que codex
micmac plutôt que mieux ainsi
Laissez la bugguer par tous les trous la chair/chère-littérature pour que l’on reste auteur – au moins – de quelques chose d’original, d’anomalique, d’oulipien. Laissez la patiner, tâtonner dans la glaise d’une poétique à venir ou même à ne plus faire.
Parce que l’on parle toujours plus de ce qui dysfonctionne que de ce qui fonctionne
des objets qui disparaissent de leur propre volonté
des fantômes de la machine qui passent en voiles saccadés à l'écran
des relations qui tanguent sur les injonctions du « Ils vécurent heureux et sans plus »
des recettes qu'on avait suivi à la lettre mais sans les bons ingrédients
Le bug épileptique et le glitch bruyant demeurent des features qui n’ont juste pas été répertoriées.
La première définition de « chercheur » que j’avais en tête était la suivante : « celui qui cherche à s’en sortir ». Sortir de quoi ?
En tant que chercheurs [alerte tautologie primaire] on doit chercher, et pour chercher, il faut que des choses manquent à l’appel, que des rouages coincent, que des trous fassent sens et des petits pois matelas. Le rôle que je donne à cette figure de chercheur est justement de parler des mondes possibles, de ces features non-répertoriées qu’elles soient dystopiques despotiques ou non.
[nous sommes des] rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir.
(OuLiPo, Abrégé de littérature potentielle, p. 6)
Sortir d’un problème, d’une problèmatique, que l’on a soi-même aidé à bâtir… donc il nous faut des problèmes pour faire notre recherche. On ne retrouvera pas le temps perdu, même en lisant Proust
peut-être encore moins en lisant Proust
et on doit chercher à en perdre parce qu’il n’y a que comme ça qu’on peut le comprendre3.