Ici
le temps
des mots
est compté
::

Tool to be Destroyed


Ceci est la Deuxième ogive du post bicéphale Pour revenir à la première prise de tête


MVR a crié un jour en pleine conférence :

Je veux des trains qui s’arrêtent pour me laisser le temps de lire Proust

Et cela fait écho au cri de Chris1 :

Stop making tools ! Nobody likes them anyway…

Arrêter le temps de la machine et de sa production pour retrouver le futile, cela me rappelle mon ancienne lubie qui me poussait à décomposer mes mini-machines d’enfant

ordinateurs à grosses touches, tableau magique
perroquets qui parle, radio

Cela aurait pu être là le début d’un carrière précoce en informatique, mais je n’ai jamais rien appris de ces dissections

hormis le fait que beaucoup de colle compose ces corps
et que leur autopsie laisse les doigts puants et un peu brûlants.

Ce qui me reste en revanche c’est la sensation de préférer tout autant l’outil quand il cesse d’être utile et qu’il devient un lieu pour autre chose, pour une certaine violence d’arrachage des composants, pour perpétrer une curiosité étrangement désintéressée à comprendre le fonctionnement mais fascinée par les matières du modèle. Les données de ces machines régressives ne m’ont jamais collé aux doigts.

Écailles, tentacules & tanin #

Why Applications Are Like Fish and Data is Like Wine ?

James qui gouverne2

Je remarque – à la C. comme dans d’autres projets que je découvre – qu’il y a une tendance à faire des données de recherche un écosystème de dérivations digitales, entre Cthulhu tentaculaires et le principe du single source publishing3

un site responsive
un insta branché
un bot tweeter autonome
une appli vade mecum
un stand-alone casanier

Mêmes data à saveurs multiples pour plaire à l’useur

boire l'anthologie à la paille
mastiquer l'API
grignoter les épigrammes 

La métaphore comestible, je ne la tire pas seulement de mon ventre, c’est aussi James G. qui me l’a servi.

Only one improves with age.

James qui gouverne2

Sa recette en résumé :

  • il ne faut pas penser cuire le poisson dans le vin

Dans la mesure où les processus évoluent avec le temps et doivent évoluer au fil des pratiques et des besoins culturels, il ne serait pas prudent d’intégrer des données dans une application.

  • il ne faut pas noyer le poisson avant d’avoir pensé à son accompagnement

Penser davantage aux données et à leurs structures pour ne pas que cela tourne au vinaigre4.

et j’ajouterai à la suite :

  • il faut préférer le vin à la chair.

Si (et surtout quand) l’outil tombe, c’est moins le deuil d’une fonctionnalité que nous devons éprouver que celui d’une pratique (surtout si cette dernière était contenue/normalisée/exclusive à l’outil). Au-delà du boire et du manger – qui, même si l’un vieilli mieux que l’autre, ont chacun une date de péremption – c’est la cuisine qui me semble plus importante de préserver, même la mauvaise qui se suit pas les recettes et libertine les ingrédients.

Give less to share more

Chris

Ou « Cuisinez plus pour manger moins ».

L’insoutenable éphémérité de l’outil #

Récemment, je présentai GTR pour m’apercevoir que ce dernier ne fonctionnait plus.

GTR est mort, vive GTR

Bien entendu je suis attachée à cet outil, aussi médiocre et insignifiant soit-il,

un peu comme mon chat au fond 

Mais au-delà de sa viabilité, c’est surtout ce qu’il représente en tant que témoignage d’une réflexion et d’une expérience de pensée. Il ne marche mais « on s’en fout » parce que 1. Personne ne l’aurait utilisé de toute façon car il ne sert à rien ; 2. La documentation qui l’entoure (le paper, les captures de graphs illisibles qui ne chargent pas, et surtout le pas à pas du code suffisent et font sens ; 3. Il me donne la possibilité de me replonger dans la réflexion si je souhaite le réparer/renouveller.

GTR comme d’autres projets/objets n’était peut-être pas fait pour être (ré)utilisé au-delà de la démonstration : il devait montrer l’importance de structurer des références bibliographiques, il devait cristaliser un espace/temps collaboratif autour de nos données de recherche, il ne devait pas concurrencer les applications titans pour révolutionner le monde.

Personne ne lit les manuels
Tout le monde oublie les outils
On s'occupera des témoignages

Je réparerai peut-être un jour GTR (aussi parce que mon obsession des graphs est juste naissante) mais ne nous leurrons-pas, il ne sera jamais défini ou définitif. Nos outils/projets labellisés SH mutent et muent constamment, au grès des besoins des utilisateurs (souvent nous et nos communautés), des mises à jour subventionnées, des coordinations des équipes au charbon. Donc non seulement l’impératif fonctionnel semble hors-de-propos mais la question de la propriété des outils ou des environnements numériques en contexte de recherche SH est peu consistante (même sous les dents les plus carriéristes).

Ces bonzaïs techniques 
Apéritifs semi-consommés
ou sample demi-sourds

Ils n’appartiennent à personnes ou au coll/ectif/aboratif/ation

jardins partagés où chaque coup de pioche, bouture ou vol de framboise fait main verte
buffets open bar aux petites mains attablées
chorales pour chanter faux jusqu'à une cacophonie qui dit quelque chose

Un peu comme ce post janus, ça fonctionne mal, ça passe d’une chose à une autre, ça tâtonne, mais au moins ça fabrique quelque chose comme un témoignage de recherche.

Ça pousse mieux sur les cendres #

Conservation nostalgique de ça a été, le témoignage/manuel/documentation/archive me semble être au fond bien plus important que le ça a marché, plus instructifs que les outils, les datas, les trains.

J’avais d’abord été frustrée de ne pas pouvoir accéder aux productions du Laboratoire Vectors, celles qui sont si bien décrites dans le livre de Tara5, celles qui ne sont plus disponibles parce qu’encodées dans ce format qui a disparu, celles qui promettaient des explorations visuelles et synesthésiques appétissantes. Puis j’ai réalisé que ce n’était pas là le propos : ces productions éteintes sont une facette de la recherche qui n’aurait, même en pleine lumière, même complètement éclairées, jamais pu transmettre suffisamment de la dimension collaborative et expérimentale du projet.

Plutôt que de vénérer les portes de sortie, les outils, les autorités, il faut tomber en amour avec les pratiques, les processus de recherche, les labyrinthes fabriqués.


  1. « Stop making tools ! Nobody likes them anyway… », New Trends in eHumanities, 2015. ↩︎

  2. « Why Applications Are Like Fish and Data is Like Wine », Redmonk, 2007. Provenance : “Hardware is like fish, operating systems are like wine.” ↩︎ ↩︎

  3. dont l’expert et ami est ici↩︎

  4. Enseignement plein d’humilité qui a notamment été développé dans le cadre d’un projet en particulier↩︎

  5. Feminist in a Software Lab: Difference + Design ↩︎


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