Ici
le temps
des mots
est compté
::

Je n'ai plus les mots...


Ceci est le Premier temps d’un duo Pour aller voir directement le partenaire


Lorsque j’écris, je suis assise, dans un café pour me fournir courage et application, et toutes les machines autour de moi reflètent sur les faces concentrées à la caféine un vif éclair blanc.

Cet environnement qui s’ouvre sur les écrans de les visages-voisins de table, je le connais, c’est toujours le même, il revient en tout temps, c’est Word1.

et je n'ai plus les mots pour décrire l'écrasement que je ressens au bout de mes rétines,
    mes mains appesanties sur mon éditeur de texte, noir, cryptique en un sens, 
vis-à-vis d'une normativité qui donne à mon édition une sensation d'étrangeté. 

Que ce soit mes étudiant.e.s, mes collègues liées à d’autres instances d’édition ou certains des pairs qui me relisent et relèvent mes dyslexies passagères mais récurrentes, tout ce beau monde écrit des word(s).

Il y a des gens qui font des éditions critiques entières avec W.

                les fous

Il y a des gens qui écrivent leurs thèses avec W.

                 les pauvres 

Il y a des gens qui prennent des notes de réunion avec W.

                  les fanatiques

C’est donc peut-être – et enfin – le temps de revenir sur ce que ce gros mot signifie pour moi.

Dona Quichrie contre le double v(ent) #

Lors d’une conférence, je suis debout devant un pupitre, un café à la main pour me fournir contenance et contenant, et les machines devant moi miroitent sur les visages las d’écoute un cérémonieux halo.

W. c’est d’abord une occasion infatigable inépuisable de râles personnels

d'autant plus savoureux qu'ils sont proclamés devant une foule de wordien.ne.s
    qui le sont par conviction, dépit ou ignorance

d'autant plus théâtraux qu'ils se déclinent en une variété de sons
    je brâme, braie, barrie
    je hurle, hèle, hulule, 
    je crie, croâsse, conspue.

Loin d’être entendue autrement que comme la lubie d’une pauvre adepte, techno-lavée par une secte ni littéraire ni informaticienne,

une dona quicrie contre des machines à vent,
une chargée menant la charge à ce qui est en cours,
une jeune pousse qui ne sait pas encore toute la résignation de l'âge,

mon mugissement ne doit causer ni revirements d’outil d’écriture ni hantises aux développeurs en cause

élevant peut-être un doux sifflement à leurs oreilles
    confirmation de la normativité victorieuse de leur conception,
    agitation dans le vide d'une fourmie se croyant sortie des rangs.

À quoi cela sert-il alors ?

pour le spectacle
pour le principe
pour la tentative

Malgré toute la belle rhétorique et l’emphase énergique – qui serviront au moins à tenir l’audience dans une attention quelque peu compatissante –, cette résistance vaut à défaut d’insolence et d’humilité2.

{{.humilité}}

Ce n’est pas mon non-utilisation du mot – que j’utilise tout de même sous la pression de l’Institution et des instances classiques d’édition – qui fera une quelconque différence et déprédation à Microsoft.

{{.insolence}}

En revanche le collectif doit certainement avoir ce pouvoir, encore faut-il qu’il choisisse ces membres et armes en marge.

La Nwordme #

Lors d’une demande administrative, je suis postée à mon bureau, un café dans le viseur comme prochaine récompense à ma motivation, et les informations qui s’affichent dans le courriel adressé projettent devant mes yeux ahuris la brûlure d’un modèle unique.

Je refuse – pour l’instant idéologiquement – la communauté d’outils de mon Institution et ce, moins parce qu’Elle ne me semble pas s’intéresser aux propres logiciels qu’elle promeut, qu’elle ne me propose pas d’alternative et m’impose alors un modèle sous le prétexte d’une norme.

tout le monde utilise W. peu sur ce tout le monde savent l’utiliser. peu sur ce peu du peu de tout le monde savent pourquoi ils l’utilisent.

Une norme, ça se fabrique, ça ne naît pas ainsi, ça s’alimente, et ça peut donc se renégocier3.

Il est fort probable que cette communauté ne sait pas elle-même pourquoi elle l’utilise et n’a en réalité peut-être pas les moyens de se poser la question, ce n’est alors plus une norme, c’est un conditionnement. Dans cette communauté, on me forme à payer plus tard des aliénations adhésions qui auront pendant toutes ces années conditionné mes mots sans envisager la question de l’alternative.

La demande d’alternative devient alors une revandication aussi forte qu’une affiliation idéologique ou qu’un caprice d’intellectuel.

et voilà que je recommence mes thrènes de harpie,
W. est décidément une source indéfectible de soupirs. 

Avoir le dernier Mot #

Lors d’une consultation de ma boîte mail, je suis toujours postée à mon bureau, ma tasse est vide de sens et de souffle, et les informations qui s’affichent dans le courriel adressé annoncent une lueur d’espoir sur mes cernes à la recherche de chair.

C’était à la fin du mois d’octobre lors de l’habituel dépôt de plan de cours.

Jouant sur le dos de la tête pêcheuse rêveuse, j’envoie chaque année mon plan de cours en PDF4 même si je sais parfaitement que le format DOCX5 est requis, et chaque année, je me vois dans la douloureuse obligation de fournir finalement un DOCX – je m’excuse d’ailleurs dans ma résistance par principe auprès de la personne obligée chaque année de me recontacter pour obtenir le format souhaité.

Ce n’est pas par pure cruauté

    c'est pour le principe
    c'est pour la tentative
    c'est pour la cohérence

Je donne des cours en édition numérique et si, au fil de séances, j’apprends à mes étudiant.e.s à utiliser autre chose que W. – elles et ils ont tout loisir de régresser reprendre à la suite du cours leurs modes d’écriture –, il serait ainsi absurde que le plan de cours, piscine vitrine d’un enseignement, soit au format DOCX.

Or, cette année, pour la première fois, on ne m’a pas grondé – et cela m’a paradoxalement inquiété. J’ai plus tard reçu un addendum par courriel :

*une note positive : merci beaucoup de votre présentation! Je suis un peu navrée de devoir le défaire pour le mettre au format standard que nous avons, mais le format est plaisant 😊

    Le défaire, navrée, plaisant. 

    Semi-défaite, inédit, possible compromis. 

Ne soyons pour autant pas trop enthousiastes, il y a pire plus à dire



  1. pas de libre office m’entourant. ↩︎

  2. à lier ici, notre post à écrire sur l’humilité et l’insolence, ligne d’écriture de Blank. ↩︎

  3. Est-ce que l’entité qui a décidé que W. était la norme est la même qui a décidé que l’on est soit épouse soit secrétaire ? ↩︎

  4. Produit à partir de fichiers en Markdown et Bibtex avec pandoc. ↩︎

  5. Je sais, je sais, amalgame ici entre W et docx. ↩︎


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