J’enseigne sensiblement le même contenu depuis plusieurs années.
l'édition, l'écriture, le sens,
le numérique, le web, l'internet,
le média, la machine, la fabrique.
et j’y trouvai jusqu’ici un mouvement comme une brise d’air, un goût concentré d’actuel, une utilité bien d’aujourd’hui
les nouveaux médias, les révolutions digitales à porté de main,
la culture du partout et maintenant, les phénomènes de l'ensemble,
ces choses qui sont en train de se nouer sous nos yeux.
Or, cette semaine, pour la première fois, j’ai eu l’impression d’enseigner la culture antique ou une archéologie du monde
les faits qui nous semblent si étrangères par leur dépouillement,
les réalités dont on ne peut plus saisir la vivacité que dans une poussière surrannée,
ces choses dont on parle au passé et dont les noeuds sont aujourd'hui des acquis.
Ce n’est pas que les visages étudiants étendaient leur commissures ostensiblement à la découverte de leur propre entendement écartement, ou qu’ils projettaient leur attention au travers des cadres blancs des fenêtres, non ils étaient bien là, faisant face à la mienne.
Mais au fond de leur pupilles, j’ai cru apercevoir une question, celle-ci
De quoi devons-nous nous étonner ?
En effet, plus rien d’étonnant. On acquiesce simplement comme une évidence qui n’est même pas discutable. Il ne nous resterait donc que l’ennui sinon la monotonie de parler de choses vécues au quotidien par l’auditoire.
S’il y a 4 ans, parler des algorithmes de l’amour, des traques aux multiples divergences des données personnelles, ou même de ces serveurs ensevelis dans le mystère comme des coffres précieux, pouvaient provoquer l’écarquillement de quelques yeux attentifs
et même les débats exclamés quelque fois
« on ne peut pas numériser l'amour, il échappera toujours ! »
« moi, je ne suis le produit de personne ! »
« le numérique c'est pas palpable ! »
Aujourd’hui afficher dans des slides ces motifs généralisés, c’est comme annoncer une prochaine tempête de neige à Montréal :
Rien de nouveaux sous le soleil de janvier #
Les ordinateurs parlent, pensent et dessinent.
Les serveurs pompent des ressources bien au fond dans leurs cavernes.
Les produits se divertissent de leurs conditions en jonglant leurs données en main.
et pourtant elle continue de tourner, la tête terre.
Tout va bien ou du moins on en est là et on le sait. Qu’avons nous à apprendre en redisant ces faits ? Qu’est ce que moi, je donne à apprendre en redisant ces faits ?
La nouveauté dans l’enseignement est déjà en soi une cause perdue qu’il faut humblementà lier lorsqu’écrit assumer
je n'invente rien fondamentalement, je restructure des savoirs
je les collecte, les laisse un peu mariner, les connecte
pas d'exploit en somme, je ne fait que réchauffer les deux pattes du canard.
Au-delà de ce principe d’enseignement où peuvent transparaître des recherches personnelles, des perspectives du monde moins instituées et certainement des expertises formées, comment-puis-je déranger ces visages placides ?
saisir leurs filaires,
choquer leurs périphériques,
causer l'épiphanie dans leurs centrales.
Au prochain cours, peut-être, je leur parlerai de homard. Eco parle bien d’écrevisse…
Faire des vagues à la surface #
Leur réaction, pour toute l’ironie que comporte ce renversement, m’étonne et me fait fléchir réfléchir. Ce n’est pas si vieux tout ça
le numérique vient d'arriver dans le siècle
j'ai à peine l'âge de rechercher l'anti-âge
il nous manque encore une indexation de la toile
et ce n’est pourtant plus inédit surtout pour les générations qui ont toujours eu ces modes pour monde comme un bain, dans lequel moi je suis entrée, mais où éclosent déjà toutes sortes de créatures aquatiques
pour barboter comme un cachet d'aspirine
pour flotter entre des canards en plastiques à l'innocence versatile
pour jouer avec les bulles diverses qui déversent encore des matières à mousser.
et ce bain continue de se remplir. et nous de faire comme s’il nous appartenait par évidence ou par héritage.
Je grogne souvent contre les images foireuses fumeuses éthérées du numérique qui en liquident la matière, mais il s’agit moins d’eau ici que de ce qu’on y plonge.
Les cuissons du homard #
Now Have you thought of what animal you’d like to be if you end up alone ?
Yes, a lobster.
Why a lobster ?
Because lobsters live for over 100 years, a blue blooded like aristocrats, and stay fertile all their lives. I also like the sea very much […]
A lobster is an excellent choice.
The Lobster, Lánthimos (2015)
Je pense que nous sommes des homards d’élevage sans le savoir et que selon les âges, nous cuissons différemment1
certains sont assomés par l'eau glacée avant de plonger inconscient et la tête la première,
certains sont réchauffés progressivement jusqu'à ébullition,
certains sont jetés directement dans le bain sans prière,
certains étaient déjà là, au fond de l'eau,
et à ceux-là, nos éclaboussures sont des effusions bien naïves.
Je me rends bien compte de la saveur technophobe qu’apporte le homard dans l’histoire, c’est pourquoi, pour la désépaissir un peu, je n’ai pas mentionné les mains – pour une fois – d’un quelconque cuisinier omnipotent qui déciderait de notre sort de crustacés. Il s’agit davantage de reprendre la question qui n’en était pas une
De quoi devons-nous nous étonner ?
pour ne pas y répondre par une autre série de questions
Qui tourne le robinet ?
Qui décide de la température ?
À quel degrés sommes-nous ? et à quel degrés est cette eau qui continue d’affluer ?
Le homard est celui qui observe les changements de l’eau, même si cette observation ne change pas – encore – l’issue, et continue pourtant d’aimer l’eau.
Is it just me ? #
Ceci est un Update sur le fil de la fabrique de ce post.
Au moment de deployer ce nouveau post, papillon dans le système :
J’ai d’abord pensé que l’erreur provenait de mes petites mains
qu'ai-je encore fait ?
c'est ça de bidouiller autant
E. avait raison de lever les mains au ciel en voyant toutes mes modifications laissées unstaged
puis je me suis dit que c’était le post de trop
il est peut-être trop insolent celui-là
c'est un signe que l'Internet ne veut pas des homards
M. a raison de me dire d'écrire ma thèse plutôt que d'écrire des posts salés
jusqu’à ce que T. me conseille d’aller voir Github stages status : le papillon dans le homard, c’est l’octocat.
-
je ne me positionne pas quant à savoir si le homard souffre ou non de sa cuisson, pas depuis que j’ai entendu le cri d’un chou que l’on tranche. ↩︎