Merci pour le repas
À l’origine, je n’avais pas le goût d’écrire ce post.
pas très faim
peu d'appétit
pas d'inspiration.
Les jours passés m’ont donné de moins en moins envie de l’écrire et il me semble encore en écrivant ces mots que laisser page vide – ou faire page noire – serait bien plus éloquent que toute argumentation de contraste.
une redondance académique qui n'a plus la même saveur de résistance que tantôt
comme le mythe universitaire
« c'est quoi l'audace ? »
[page blanche]
« c'est ça »
J’ai eu l’idée d’écrire ce post au moment où M.V.R. m’a fait remarquer l’inutilité de deux termes en particulier :
- Scientificité
- Créativité
Je me suis alors mise à les voir partout et depuis cela ne s’est pas arrêté.
L’insipide rhétorique de demande de sub' #
En règle générale, toutes déclinaisons et cousinages du type [-ité] ont une certaine laidité vacuité et vanité, mais ces deux-là, particulièrement vivaces dans les discours de recherche et création, ont quelque chose d’une banalité tout en déclarant, aussi fort qu’un paon dans une basse cour, une autorité sans litote
comme si les mots sérieux, engagement, intention
n'arboraient pas assez de plumes sur leur finale.
Avec toute l’insolence que je trouve pour le dire, ces termes sont politiques : ils servent un discours comme les plots d’un chemin pour signifier qu’on en fait partie.
Loin de les bannir totalement de mes mains, ce sont des mots que j’emploie dans le cadre de demande de financement,
mais on sait vous et moi que dans les demandes de financement,
nous n'écrivons pas honnêtement ce que nous sommes, faisons ou pensons ; nous écrivons ce qu'on attend de nous.
Faire concept, rendre sérieux, instituer une expertise mais peut-être, au fond ou dans la profondité, ne rien dire et ne rien produire quant à la salivation de l’écoute.
Pourquoi alors en parler ?
Pour constraster avec une réalité, [-ité] plus goûteuse, qui est un appel aux ventres comme aux mots…
Il faut voir comme ils mangent #
Un Colloque, une conférence, un évènement.
Ça se passe dans une salle, avec ou sans fenêtre dépendamment de là où on regarde.
Ça se passe dans une salle se remplissant de ces têtes chercheuses pensantes, pleines d’un lexique qui a été proclamé avec verbe verve et intonation.
Le temps passe et ces têtes surplombent des estomacs qui ont faim1.
un (m)auteur ne fonctionne pas sans carburant.
on ne fait pas d'œuvrette sans casser d'-e.
Les plats arrivent et les groupes se créent, se fond moins en fonction des complicités de recherche que des proximités alimentaires.
c'est le moment
du groupe, du réseau, du banquet
c'est l'occasion de la vente de soi
de l'autopromotion, de la flatterie, de la collaboration,
c'est le prétexte pour les scoops,
savoir si ça mange des graines mais utilise du propriétaire,
savoir si les interdisciplinaires sont omnivores.
De côté la scientificité, abandonnée la créativité, ce qui anime les corps, c’est l’appétit[-ité],
le pain tranché en guise de pacte futur,
le sel répandu pour créer des cercles et communs,
les verres servis pour accointance et prospérité.
Une des réalités de la recherche, c’est bien celle-la, celle de la moelle dont on retiendra la substantifique [-ité] si on digère bien les conseils et avis exposés à nos faces mastiquant.
croûte et curée pour culture,
victuaille et ripaille à la lettre,
pâtée et tambouille en idées,
chère entre chaires,
popote avec papote.
Nous pourrions survivre si scientificité et créativité venaient à disparaître, mais si la mâne et le moût venaient à manquer, ce serait sans manière le règne du
Carnage humaniste #
Un Imprévu, un incident, un évènement.
Cette année pour la première fois dans le cadre scientifique, je me suis retrouvée avec d’autres petites mains à ne pas avoir droit au saint lunch. Pour des questions d’organisation, les vivres étaient insuffisants : il fallait alors déterminer qui serait privé de desserte.
Il est apparu que les petites mains, en plus d’être sans tête, sont dépourvues d’estomac et donc n’ont ni besoin de comprendre ni besoin de manger.
Au-delà de la question hiérarchique déplacée à la nourriture, de la violente sensation des petites mains à être privées des repas qu’elles avaient pourtant porté à la horde affamée et de la lueur de dépit de voir c/ses plats finir dévorés avidemement par d’autres doctes dents, le plus impactant a été ce moment-clef de rage épidermique2
les dents grincent en premier,
la langue diplomatique se tord et se renverse,
tout le savant savoir que l'on a ingéré ne suffit plus.
À ce moment, mes souvenirs fermiers ont fait face :
on nourrit bien les lapins pour leur donner du goût.
L’issue a révélé que les petites mains ont finalement trouvé justice et pitance, et je n’ai – finalement – mangé ou mordu personne sinon le coin d’un sandwich sans cervelle.
Ce qui me reste de cette scène, au-delà d’une certaine amertume qui n’amuse peut-être que moi et que j’aime remâcher, c’est le constat de la réalité alimentaire de la science où la même loi des hommes [masculin assumé] règne et ainsi la même hiérarchie.
Dans cette recherche d’os à se mettre sous la plume, les petites mains sont celles qui font, portent, servent café, amuse-geules et sucrosités. Elles sont celles qui empêchent, parfois au dépend de leurs propres alimentation, les cannibalismes scientifiques et les gargouilles au fond des estomacs éclairés.
Affamez-nous donc, humanités partielles, #
que l’on puisse écrire mieux que les ventres pleins
car c’est dans ces vides que raisonnent nos mots. #
Merci encore pour le repas.
Photo d'un banquet pris sur le vif Humanistica 2022
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c’est peut-être le 3ème post que tu écris avec des références à la nourriture… À écrire un post sur l’analogie mangée. ↩︎
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identique à celle qu’il faut avoir pour écrire au monde ↩︎