Deuil d'une écriture
Toute la dimension exhutoire de ce carnet brille ici dans ce qui ne pourra éviter le voile sombre d’un office funèbre. Mais on tentera de ne pas être trop dramatique car, rappelons-le dès l’incipit, il y a plus pire.
Haut les coeurs !
saisissons ce moment aussi fugace que traumatique pour réfléchir à cette sensation
celle qui revient comme un cycle que l'on pensait révolu
celle d'un monstre vert qui vous ronge les certitudes
celle d'un échec sans autre mot
C’est un vade mecum dans nos activités de recherche
où veille et veillée scientifique fonctionnent amoureusement en oroubouros
devenant un non-évènement, un “c’est le jeu mon pauvre Margoton”, c’était ça ou l’inverse de toute façon.
Et c’est moins sa récurrence normalisée qui me marque ici que la gestion de ce non-advenu que je veux faire remarquer.
On en parle un peu, entre concernés, en soufflant la fumée de l'exaspération
On tweete un peu la rage d'une déception pour stimuler l'empathie
On ressasse -- beaucoup -- en tête comme une névrose
On écrit jamais dessus, jamais
Je n’ose dire cette nouvelle qui n’en est pas une, tellement commune qu’elle en devient anale banale, parce que toute la pudeur d’une exigence à la réussite m’ôte les mots. Alors je m’essaye ici devant un public qui sera tout aussi bien pluriel qu’inexistant mais qui n’aura certainement aucune pitié.
Drame de la recherche #
À ces pages et pages, à établir selon des formatages et mises en page autant arbitoires que sélectives, qui ne seront jamais lues
déjà qu'en sciences humaines, on a tendance à chercher nos masses
et c'est le drame du littéraire qui écrit pour être au moins lu
ou pour prétendre à une lisibilité
À ces projets, qu’on nous demande – presque – d’avoir réalisé, qui seront avortés
on l'a notre projet sur le papier
l'équipe est autour de la table du savoir
le descriptif affiché à l'écran et aux yeux de tous
le café servi dans les tasses à tiédir pour brunir nos neurones
le budget dressé en mémoire dans les cartes comme des cadeaux futurs
le plan de mobilisation des connaissances et les défis de demain dans le viseur
et rien ne se fera, rien
le projet ne verra jamais le jour ni les nuits des sciences
l'équipe devra déserter les salles sans jugement
on éteindra l'écran sur le descriptif en veille
le café devenu trop froid finira à l'évier
le budget fictif jamais débité reste des chiffres de l'imaginaire
la démobilisation des connaissances et les défis ont tirés à blanc
Que doit-on faire de ce qui nous reste ? de toutes ces personnes formées et motivées ? de ces prévisions et élans ? et surtout de toutes ces pages et pages qui nous restent entre les mains devenues un peu moites ?
les réduire en cendre sur la place publique
danser en rond pour faire s'élever la fumées vers les idées
les retourner, s'en servir de feuilles brouillons pour que rien de se perdre
les recycler dans ce qu'elles ont de bon et apprendre de ce qu'elles ont de mauvais
les enterrer dans la terre pour voir si elles prennent ailleurs et cultiver un jardin marginal
Pourquoi n’avons-nous pas de manuels, de documentations, de tutos pour gérer ces laissés, ces déprises, ces bévues ?
Et l’après : on rase tout et on recommence ? on insiste dans les calendriers des institutions ? on s’en va pour ne plus se retourner ?
Ne pas fléchir #
J’avais écrit, comme un épitaphe, en haut de ma note quotidienne
A géré sa thèse comme une demande de subvention
Je peux maintenant me délester du poids d’une formule bien trop résonnante de vérité ici même si elle ne sera pas – totalement – vraie. Ma thèse ne sera pas une demande de subvention même si je placerai en elle la même tenacité que pour remplir le CCV canadien.
C’est une des réalités de la recherche qui n’est peut-être pas assez développée dans les formations que l’on nous fait : gérer les refus, prendre les retours, et ne pas se prendre la tête que des comités ont jugé insuffisante ou ne correspondant pas à ses critères
le Comité présente toutefois quelques suggestions en vue du développement de la demande.
le Comité considère que les précisions sur les méthodes qui seront utilisées sont nécessaires.
le Comité estime que l'équipe ne présente pas les compétences et expertises suffisantes à la réalisation du projet.
le Comité note que l'équité, la diversité et l'inclusion dans la conception de la recherche doivent être plus développés.
le Comité fait remarquer que des exemples plus précis de la réalisation concrète du projet étaient attendus
Lançons encore ce dès aux multiples faces à une entité comité
que je ne saurais voir ou nommer.